Un vélo dans la tête

 

 

vélo dans la tête

 » J’attends en gare de Saint-Brieuc le train de nuit pour Luchon. Années 1972-1973, j’ai 11 ou 12 ans et des chaussettes qui tire-bouchonnent sur des mollets maigres. Au matin, direction Larboust, je rejoins mon père, cantonnier en chef. Je vais découvrir les calots en papier, le Pschitt citron, le maillot Sonolor de Lucien Van Impe, le Gan de Raymond Poulidor, le Molteni d’Eddy Merckx. Je suis un rural catholique des Côtes du Nord élevé chez les frères, un monde déjà en voie d’extinction. Ici se produit ma première exploration du récit cycliste que je couche sur des cartes postales pour mon grand-père, un poilu qui s’est battu à Dixmude. Comme j’ai toujours été très lent, la sève mettra 25 ans à lever. En 1995, pour Libération, je découvre les seringues d’apothicaire et cette activité épatante où le journaliste peut s’étendre sur l’herbe verte en écoutant le cliquetis des passages de pignons. Je découvre un sport d’orgueil et de grandes forfaitures. Le cyclisme est un terreau si fertile qu’a poussé brutalement dans les années 1990 une botanique vélocipédique enrichie aux phosphates et à la potasse d’Alsace. J’ai crocheté, biné, et vu les grandes pluies acides du dopage s’abattre sur les Tours de Lance Armstrong. Aujourd’hui vieux et gris, j’ai enfin achevé ma croissance. J’ai mis 20 ans à construire sur le Tour une maison forestière avec vue imprenable sur une France qui n’existe plus et un sport désormais prisonnier des prothèses technologiques. Je mets aujourd’hui la cabane en rondins en vente, quelques semaines avant la 101e édition, en ayant fait au préalable le ménage dans plus de mille chroniques données à Libération.  » J.-L. Le Touzet

 

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