C’est parti, juste une lueur devant toi qui va te guider pendant quelques heures …
Mercredi 17 juillet, 0h00 ou presque, bords du canal de Garonne à Castelnau d’Estrétefonds. Philippe m’a transporté jusque-là, j’équipe le vélo, sacoches, éclairages, je donne le premier coup de pédale d’une longue journée dont l’objectif est d’arriver à Oléron … Tellement dans mon truc, dans ma bulle dès le départ, que je ne reconnais pas Philippe qui a eu la gentille idée de se poster au premier pont suivant pour m’encourager …
Presque 430 kilomètres prévus, 350 effectifs sur le vélo, objectif quand même atteint pour moi, je vais vous raconter tout cela …
Comme prévu, pas grand monde le long du canal de nuit : des rats, des ragondins, des échassiers, des chouettes dont une superbe effraie, des lapins, des hérissons, deux gars couchés à même le sol en bord de piste enroulés dans une couverture, vélo couché, quelques cartons, un peu de lumière auprès des maisons des environs, quelques lumières sur les nombreux bateaux arrêtés en bord de canal ou dans les ports, des jeunes qui fument quelques herbes tard dans la nuit ou vraiment très tôt le matin à Agen, des tentes posées par-ci par-là, des aires de camping-cars en sommeil, deux ou trois voitures dont les occupants semblent bien occupés, Versailles à Golfech, des poissons bruyants, des chats, des quais de gare déserts, des usines qui tournent 24/24 on dirait toutes seules, des terrasses de restaurants éclairées désertes, …
Gestion du temps et de l’effort, je roule à 25-26 au départ pour ne pas trop me cramer et tenir quand même (à mon niveau) un bon rythme, j’étais parti sur du 23 de moyenne sur l’ensemble du parcours, sans compter les arrêts, soit 18 heures effectives à pédaler … Sous réserve que le vent ne soit pas trop défavorable … Dans ce cas, je pouvais rajouter au moins 2 heures de plus.
Le vent … Je vais en parler de suite car il s’est invité assez tôt au voyage, dès Moissac, défavorable bien sûr, souvent de face, assez fort en Gironde puis en Charente-Maritime, voilà pourquoi je n’ai pas fait le total du parcours sur le vélo, n’allons pas trop vite, prenons le temps, je vais vous raconter.
Rouler de nuit est particulier, je l’ai fait en pleine nature, en montagne, seul, accompagné ou sur des raids, mais le long du canal une atmosphère bien particulière imprègne les lieux, même quand l’activité ou la présence humaine sont proches … Cette nuit j’étais accompagné d’une belle Lune quasiment pleine, j’aurais pu rouler – en tout cas sur les portions dégagées – sans lumière, je l’ai d’ailleurs fait quelques minutes.
Rouler seul et longtemps est aussi particulier, je ne l’avais jamais fait sur une si longue distance et aussi longtemps de nuit, le temps peut passer assez vite, cela a été le cas jusqu’à Agen.
Golfech, c’est Versailles : les quais de canal éclairés comme en plein jour, des lampadaires partout, un pont tout de bleu éclairé, la centrale illuminée, c’est Versailles … Une centrale, c’est pas beau, c’est pas bon, je ne vais partir dans les discours sur le bon ou pas bon du nucléaire, il faut que nos politiques prennent leurs responsabilités et des décisions cohérentes pour l’avenir et donnent aussi aux gens les moyens d’enclencher la transition énergétique … Tout ça pour dire que malgré tout, j’ai trouvé beau ce 100 % industriel de nuit, comme j’ai trouvé beaux ce quai de gare désert ou cette usine semblant fonctionner toute seule …
Je roule régulièrement le long de ce canal au moins jusqu’à Montech, j’aime beaucoup le site de la pente d’eau même s’il est abandonné, ce qui est bien dommage.
http://www.ville-montech.fr/cote-tourisme/presentation/la-pente-deau/
Et j’ai roulé avant ce voyage par deux fois plus loin, de nuit jusqu’à Agen avec Dominique et de jour l’an dernier pour mon voyage en 3 étapes vers Oléron jusqu’au bout du canal à Castets-en-Dorthe.
Ce canal, prolongement du canal du Midi vers l’Océan, relève tout de même d’un sacré défi ! Et que dire des ponts-canaux dont le plus long est celui d’Agen, magnifiquement entretenu. Drôle d’impression de nuit, même s’il est très joliment éclairé, de rouler sur celui-ci entre canal et Garonne dans le noir juste à droite plus bas, impression de vide même s’il y a une bordure en dur …
Tout le bord du canal est aménagé en cyclable, plus ou moins bien bitumée, on change juste de rive régulièrement, le lien avec la Garonne est ténu puisque qu’on la borde plusieurs fois et la dernière écluse à Castets-en-Dorthe ouvre les portes à la Garonne et un peu plus loin l’océan … Mais nous n’y sommes pas encore.
Le vent a commencé à se montrer présent dès Moissac et même si le canal est souvent bordé d’arbres, je le sentirai bien, défavorable …
Fin de nuit entre Agen et Castets-en-Dorthe, environ 80 kilomètres, un peu dur, bonne occupation : compter les ponts qui enjambent le canal. Il y en a un tous les kilomètres environ (tout au long du canal en fait), et contrairement à tous ceux rencontrés plus tôt, on ne passe pas dessous, ce qui me fait affirmer qu’il y du dénivelé le long du canal, et je vais en faire rigoler certains ou beaucoup en écrivant cela … Mais multiplie le nombre de ponts par le nombre de fois où tu vas prendre ces quelques mètres et tu verras que cela commence à faire …
Et chaque pont a son nom et sa commune, je peux dire que Bruch, par exemple, dont la population ne doit pas être trop élevée, est un commune étendue, je ne sais combien de ponts en dépendent … Ou alors, j’ai eu cette impression car la vitesse moyenne avait cruellement chuté sur cette portion …
Très beau lever de soleil sur le Lot-et-Garonne, les communes se réveillent, les magasins lèvent leurs devantures, les cafés et restaurants en bord de canal reprennent vie, les propriétaires ou employés nettoient les restes de la soirée précédente pour préparer la journée à venir …
Chocolat au lait pris au premier resto trouvé ouvert, à Castets-en-Dorthe, après cette portion de 80 bornes et avant de prendre les petites ou plus grosses routes vers Bordeaux. Un peu plus loin, un pain aux raisins et un coca.
De jolies communes traversées, Buzet-sur-Baïse, Daumazan ou le Mas d’Agenais, Caumont-sur-Garonne, et d’autres. De nombreux aménagements ont été faits pour accueillir les touristes ou permettre aux voyageurs, notamment en vélo, de faire halte et dormir.
Premier point sur l’horaire, je ne dois pas oublier, cela aura son importance par la suite, que je dois prendre le bateau au Verdon, en Pointe de Grave et donc je ne dois pas trop tarder, je suis en retard sur mon horaire et ai rendez-vous sur les quais de Garonne à Bordeaux, Place des Quinconces, avec notre cousine Christiane, amatrice elle aussi de vélo. Le temps se rappelle donc à moi dans ce périple dont il est un des sujets : prendre du temps, prendre le temps nécessaire, passer du temps. Il va quand même falloir faire avec.
Sur le vélo, le temps prend une autre dimension, mais cette fois encore une barrière horaire s’impose (si je loupe le bateau, je dois redescendre jusqu’à Bordeaux, ou dormir sur place, je ne me suis pas équipé pour cette éventualité). Le temps commence donc à me rattraper, je vais relancer un peu la machine, tomber 2 dents, beaucoup moins sortir l’appareil photo tout en gardant la boîte à souvenirs naturelle bien ouverte. Et le problème avec le vent, quand tu l’as dans la tronche, que tu n’es pas abrité et que tu es tout seul (essaye de te mettre dans ta roue, ça marche pas, j’ai essayé), c’est qu’il souffle et te ralentit méchamment, tu perds facilement 10 km/h pour la même énergie …
J’aime le vin, avec modération bien sûr, et comme l’an dernier, je vais prendre plaisir à traverser ces terres de vignobles aux noms prestigieux : Sauternes, Barsac, Cadillac (rive droite), Graves, Pessac-Léognan, Haut-Médoc, Margaux, Listrac, Saint-Julien, Pauillac, Saint-Estèphe, etc. De superbes châteaux s’offrent à la vue.
J’arrive rapidement sur l’agglomération bordelaise. C’est grand Bordeaux … J’ai failli ne pas sortir de Bègles : je tombe sur un rond-point où toutes les accès donnent sur des voies rapides interdites aux deux roues non motorisés, gag … Je prends le seul accès possible qui donne sur une zone commerciale, passe derrière 2 ou 3 bâtiments et retrouve enfin mon chemin.
13 heures passées quand je m’arrête sur les quais de Garonne à Bordeaux, en bout de la Place des Quinconces pour manger et passer un petit moment avec Christiane qui m’a apporté aussi de quoi me ravitailler : barres et eau. Merci !
Bordeaux est une très belle ville, venant d’un Toulousain le compliment a sa valeur ! Les quais de Garonne ont été très joliment rénovés, mis en valeur. Très joli le miroir d’eau, point incontournable d’une visite.
(Merci Christiane pour cette belle photo du miroir d’eau)
Je fais un point horaire avant de repartir : le chemin est encore long jusqu’à la Pointe de Grave, et le moindre pépin mécanique pourrait compromettre mon passage de l’estuaire (la troisième option, traverser à la nage, étant impossible malgré mes qualités quasi-exceptionnelles de nageur, ayant gagné à la nage mon surnom de « fer à repasser »), je choisis de pousser jusqu’à Lamarque après Marsac, un bac en part pour rallier Blaye, j’y serai rapidement et aviserai ensuite en descendant rive droite jusqu’à Royan, quitte à demander à Sylvie de venir me chercher si le vent persiste …
Les deux rives de la Gironde sont magnifiques, j’ai voisiné les îles du Nord à proximité du confluent Garonne-Dordogne.
Et belle surprise en arrivant sur la commune de Macau, à une quinzaine de bornes du port Lamarque. Et aide appréciable et appréciée. Je peux le révéler dans ces lignes, ça va faire le buzz dans le monde du cyclisme : une équipe continentale à prétention World Tour italo-berrichonne ou berricho-italienne est en train de se monter avec quelques jeunes espoirs très talentueux et d’anciens pros encore bien en cannes. Cette équipe était dans le coin pour un premier regroupement sportif et touristique. Bus, voitures, mécanos, une belle organisation. Et là, incroyable, la directrice sportive (car c’est une femme) me reconnaît. « C’est bien vous Thierry du Cyclerit et d’À deux c’est encore mieux ? On suit votre blog régulièrement ! ». Là, je me dis que j’ai un avenir là-dedans … Nom de l’équipe : « Bella-mama y papa ».
J’ai oublié de vous dire que ma chère et tendre était un peu inquiète de ce périple nocturne puis diurne, mon paternel aussi … C’est d’ailleurs une des raisons qui m’ont fait acquérir ma balise satellite qui m’accompagne dans mes balades à vélo quand je suis seul, elle propose un suivi en temps réel et permet de faire appel aux secours même en zone non couverte par le réseau téléphonique, et il y en a !
J’avais aussi promis à mon paternel de couper le périple en deux étapes : Toulouse-Bordeaux le matin et Bordeaux-Oléron l’après-midi, cela ne l’avait pas convaincu …
Qui vois-je donc à Macau en bord de route : mon père et Marie-Aimée … Belle surprise ! Je m’arrête bien sûr, les remercie d’avoir fait tout ce chemin juste pour voir un mec tout seul passer sur une petite route de Gironde à un rythme bien inférieur aux cadences des compétiteurs et des professionnels … Comme ils sont là tous les deux, je vais pousser jusqu’à la Pointe de Grave avec eux, transporté, pour les 70 kilomètres qui restent pour prendre le ferry là-bas et poursuivre mon périple.
Nous rallions donc Le Verdon-sur-Mer et la Pointe de Grave où je pourrai prendre le bateau largement dans les temps. Un point pour moi face au temps, je suis allé plus vite que lui ! J’ai remonté le temps !
Traversée de ce beau territoire du Médoc avec ses châteaux somptueux, le territoire est prospère.
Très jolie, cette Pointe de Grave où la Gironde rejoint l’océan. On distingue bien la rive droite avec Royan juste en face.
Je prends donc le bateau au Verdon-sur-mer à 18h10, comme prévu initialement mais plus tôt que prévu malgré le temps passé et en remerciant comme il se doit mes deux directeurs sportifs.
Gros ferry, pouvant accueillir des camions, des voitures, des vélos (c’est gratuit pour les vélos) et leurs passagers ou usagers pour traverser la Gironde entre Grave et Royan, moins de 4 euros pour la traversée, ce n’est vraiment pas onéreux.
J’accoste à Royan, j’appelle Sylvie pour lui dire que tout va bien, depuis Bordeaux mon téléphone indique que la batterie n’est pas loin d’être déchargée, je l’utilise avec parcimonie. Je vais essayer de terminer mon périple sur le vélo, il reste une cinquantaine de bornes à couvrir, si besoin j’appellerai Sylvie qui viendra me chercher.
Vous ai-je déjà parlé de ces cyclistes que je croise régulièrement, en général le dimanche (d’où l’expression à venir) sans aucun équipement mais qui n’ont pas oublié leur téléphone, arrêtés au bord de la route suite à une crevaison ou un petit pépin technique et qui appellent à la maison pour qu’on vienne les chercher … Cyclistes du dimanche ! Vous pourrez toujours m’appeler, je ne viendrai pas ! Tu ne pars pas rouler sans un minimum d’équipement. Sur ce parcours, j’ai roulé avec mes deux sacoches, la sacoche de cadre (pas de sac à dos) et de l’équipement nécessaire : vêtements, 3 batteries pour la nuit au cas où (j’en utiliserai deux, la troisième pourrait servir le soir), un éclairage de rechange, deux éclairages arrières, un litre d’eau en plus des deux bidons, des barres, une petite pharmacie, un minimum d’outillage, etc. Le vélo était un peu chargé, pas autant que si j’étais parti pour un parcours avec bivouac, même si j’ai un équipement léger pour. J’ai croisé quelques cyclistes en itinérance.
Je pars de Royan pour quelques deux heures et demie de route, le vent n’ayant pas freiné sa fougue et le terrain étant plutôt dégagé.
Je vais chercher les bords de Seudre, ce coin est aussi superbe, avec ses marais, ses claires, ses prés dans les marais, etc. Direction La Tremblade, le pont sur la Seudre, Marennes et Oléron.
J’ai déjà parlé de ce clocher de Marennes que tu vois au loin et que cela n’en finit pas de le rejoindre …
Le vent a eu raison du cycliste, et je trouvais que j’avais quand même pas mal réussi mon truc, j’ai donc appelé Sylvie qui est venue me chercher à La Tremblade avec Bastien pour finir, sans déshonneur, mon parcours.
Un grand merci au paternel, à Marie-Aimé, à mon épouse et mes enfants, à mes amis, à Philippe et Christiane, pour les encouragements et l’aide apportée.
J’ai d’autres projets en tête, j’ai du temps devant moi même si je n’ai pas les commandes de l’horloge, on en reparlera, avec toujours cet objectif à très long terme, mais le temps en décidera vraiment même si j’ai quelques cartes à lui jouer, ce record de l’heure détenu par Monsieur Robert Marchand.
Quand même 350 kilomètres parcourus, 30 heures éveillé depuis la petite sieste de la veille après-midi, plus de 18 heures effectives de vélo, je n’avais pas besoin de passer dans le rouge pour ces quelques 15 derniers kilomètres, et j’avais déjà passé le pont sur le vélo l’an dernier en fin de voyage de 3 jours.
Un petit défi personnel relevé, pas grand chose par rapport à beaucoup d’autres choses …
30 heures … Certaines professions sont confrontées à cela, on nous en parle dans les médias pour la police, les hôpitaux, etc. Danger ! Même si ces personnes sont très consciencieuses, ce n’est pas possible de garder une vigilance nécessaire au bon exercice du métier dans de telles conditions … Danger pour elles et pour les autres …
En forme le lendemain, pas grillé, pas mal aux jambes, un peu de raideur quand même, prêt à rouler pour faire un peu de garnotte sur cette belle île d’Oléron ; je vous invite d’ailleurs à lire tout ce que j’ai déjà publié sur le sujet.
Et toujours le chapeau bas aux cyclistes professionnels en particulier et autres sportifs de haut niveau pour leurs exploits et à ces cyclistes moins médiatisés qui alignent des milliers de kilomètres en continu, que ce soit sur des épreuves comme le Paris-Brest-Paris, la BTR (pas la clé, la Born to Ride), la Great Divide, les Race across, la Transcontinentale qui se court en ce moment (le Graal), ou sans challenge sportif en voyageant en itinérance … Tous les sports sont difficiles, sans aucun doute ; le cyclisme a sa particularité. Par exemple d’offrir un spectacle gratuit, il suffit de se poster en bord de route, nous sommes en plein Tour de France, pour en profiter, même si l’instant peut être bref quand on voit les vitesses atteintes. Et même si le sport professionnel en général, le cyclisme étant particulièrement exposé médiatiquement, a ses côtés cachés dont le dopage, ce que font ces gars est du domaine de l’exceptionnel, il faut souffrir pour faire ça, ça change de cinéma à la Neymar ou maintenant à la M’Bappé (on nous l’a vendu comme un grand intellectuel, il s’est planté dans ses dernières prestations, c’est dommage, il est aussi très très médiatisé, il est aussi très très très bien payé), les féminines ont apporté une sacré coup de fraîcheur au football mondial en ce début d’été (même si les grosses équipes comme les états-uniennes sont outillées question cinéma). On ne verra jamais un cycliste, un marathonien, un trailer, faire du cinéma … Je sais bien aussi que beaucoup de footballeurs savent ce que signifie mouiller le maillot et connaissent la dureté du sport.
Et quand je parle des exploits au long court, j’aime aussi beaucoup cet anonymat, le gars fait ça pour lui, pas besoin d’en parler, sans forcément se fixer un challenge, c’est aussi beau pour cela.
Et je ne vous ai pas parlé des quelques chansons qui ont traversé mon esprit en roulant, qui m’ont accompagné en pédalant (on a tous une play-list dans la tête …), des quelques jurons que j’ai pu pousser à certains moments face au vent, je le prenais à partie lui précisant que je plaisantais, au cas où il aurait envie de forcer, de tout ce que j’ai pu me raconter, de ce que j’ai pu ne rien me dire quand j’avais tout débranché …
Prendre son temps … J’en ai pas mal pris pendant ce parcours d’un jour … Pas grand-chose finalement mais une belle expérience !